5 juin 2025 Environ 6 minutes de lecture
Éléments clés
L'emphytéose permet d'utiliser un immeuble d'autrui (10-100 ans), presque comme un propriétaire, à condition d'y apporter des améliorations durables
4 conditions requises: il faut un immeuble, un engagement d'améliorations, une durée de 10 à 100 ans et des droits étendus
À la fin, le propriétaire récupère l'immeuble amélioré, souvent sans indemnité
Avez-vous déjà entendu parler d'emphytéose ou de bail emphytéotique ? Ce sont des mots qui peuvent sembler compliqués, mais ils désignent une situation juridique particulière concernant l'utilisation de terrains ou de bâtiments. Même si ce n'est pas très courant, l'emphytéose touche encore certains immeubles, comme des centres commerciaux ou des lieux de vacances. Alors, de quoi s'agit-il exactement ?
L'emphytéose, c'est quoi au juste ?
Imaginez que vous puissiez utiliser un terrain qui ne vous appartient pas, presque comme si vous en étiez le propriétaire, pendant une très longue période. C'est un peu ça, l'emphytéose. Ce n'est pas tout à fait comme une location habituelle.
En gros, avec l'emphytéose, une personne (appelée l'emphytéote) obtient le droit d'utiliser pleinement un terrain ou un immeuble appartenant à quelqu'un d'autre (le propriétaire). En échange, l'emphytéote doit y faire des améliorations importantes, comme construire des bâtiments, faire des aménagements ou des plantations qui augmentent la valeur du terrain de façon durable.
À la fin de l'emphytéose, le propriétaire récupère son terrain avec toutes les améliorations faites par l'emphytéote. C'est un peu comme si le propriétaire prêtait son terrain et le récupérait en meilleur état et avec plus de valeur.
Selon la loi (Code civil du Québec, article 1195) : L’emphytéose est le droit qui permet à une personne, pendant un certain temps, d’utiliser pleinement un immeuble appartenant à autrui et d’en tirer tous ses avantages, à la condition de ne pas en compromettre l’existence et à charge d’y faire des constructions, ouvrages ou plantations qui augmentent sa valeur d’une façon durable.
Une emphytéose peut être créée par un contrat ou même par un testament.
Les 4 conditions essentielles pour parler d'emphytéose :
- Il doit s'agir d'un immeuble (un terrain, un bâtiment).
- L'emphytéote doit s'engager à faire des améliorations (constructions, ouvrages, plantations) qui augmentent la valeur de l'immeuble.
- L'emphytéose doit durer au moins 10 ans et au maximum 100 ans.
- L'emphytéote a presque tous les droits d'un propriétaire (par exemple, il peut hypothéquer l'immeuble, le louer, etc.), sauf si l'acte d'emphytéose dit le contraire.
Si ces quatre conditions ne sont pas toutes présentes, alors ce n'est pas une vraie emphytéose, même si on l'appelle comme ça.
Par exemple, un tribunal (la Cour d'appel du Québec) a précisé que l'acte doit dire clairement quelles améliorations faire, combien elles vont coûter environ, et quand elles doivent être terminées.
Les devoirs de celui qui utilise le terrain (l'emphytéote)
L'emphytéote a plusieurs responsabilités. Certaines sont écrites dans la loi (le Code civil du Québec), et d'autres peuvent être précisées dans le contrat d'emphytéose lui-même. C'est important de bien lire le contrat !
Voici les principaux devoirs de l'emphytéote pendant la durée de l'emphytéose :
- Faire un état des lieux : Au début, il doit faire une description détaillée de l'état du terrain (ou du bâtiment) avec le propriétaire, et c'est à ses frais.
- Faire les réparations : Il est responsable de toutes les réparations nécessaires, même les grosses, que ce soit sur l'immeuble de base ou sur les constructions qu'il a ajoutées.
- Responsable en cas de perte partielle : Si une partie de l'immeuble est détruite, il reste responsable et doit continuer à payer le prix convenu.
- Ne pas abîmer l'immeuble : Il ne doit pas dégrader le terrain ou le bâtiment, ni le laisser se détériorer. Sinon, le propriétaire peut demander la fin de l'emphytéose.
- Payer les taxes foncières : C'est lui qui doit payer les taxes municipales et scolaires, par exemple.
- Payer le prix convenu : S'il y a un prix à payer au propriétaire (comme un loyer annuel) et qu'il ne paie pas pendant 3 ans, le propriétaire peut demander au tribunal de mettre fin à l'emphytéose.
Quand l'emphytéose se termine, l'emphytéote doit :
- Remettre l'immeuble en bon état au propriétaire, avec toutes les constructions et améliorations prévues dans le contrat (sauf si elles ont été détruites par un événement imprévisible comme une catastrophe naturelle).
Les devoirs du propriétaire du terrain
Le propriétaire aussi a des obligations envers l'emphytéote. La loi dit qu'il a les mêmes devoirs qu'un vendeur. Cela veut dire qu'il doit :
- Délivrer l'immeuble : C'est-à-dire, le rendre accessible à l'emphytéote.
- Garantir le droit de propriété : S'assurer que l'emphytéote peut vraiment utiliser l'immeuble comme prévu, sans problème avec les voisins par exemple.
- Garantir contre les vices cachés : Si l'immeuble a des défauts graves qui n'étaient pas visibles au début, le propriétaire peut être tenu responsable. Par exemple, si on découvre que le terrain est contaminé, l'emphytéote pourrait demander l'annulation de l'emphytéose.
Comment l'emphytéose se termine-t-elle ?
Une emphytéose ne dure pas éternellement. La loi prévoit plusieurs façons pour qu'elle prenne fin :
- L'arrivée de la date de fin prévue dans le contrat.
- La destruction totale de l'immeuble (par exemple, un incendie qui rase tout) ou si le gouvernement exproprie le terrain.
- La résiliation du contrat (par exemple, si l'emphytéote ne respecte pas ses obligations).
- Si l'emphytéote devient aussi le propriétaire du terrain (par exemple, s'il l'achète).
- Si l'emphytéote n'utilise pas son droit pendant 10 ans (non-usage).
- Si l'emphytéote abandonne son droit (sous certaines conditions).
Attention au nom !
Ce n'est pas parce qu'un contrat est appelé "emphytéose" ou "bail emphytéotique" que c'en est vraiment une ! Il faut toujours vérifier si les quatre conditions essentielles sont présentes. Sinon, ce pourrait être un simple bail (location) et les règles ne seraient pas les mêmes.
Quelques exemples concrets d'emphytéose au Québec
L'emphytéose, bien que moins connue que d'autres arrangements immobiliers, a façonné le paysage de plusieurs villes québécoises. Voici quelques exemples notables pour illustrer comment ce concept est appliqué concrètement :
- De nombreux immeubles commerciaux et gratte-ciels du centre-ville de Montréal reposent sur des terrains en emphytéose. On estime qu'une dizaine de grands bâtiments dans ce secteur névralgique utilisent ce type de bail à long terme.
- La célèbre Place Ville-Marie à Montréal est l'un des exemples les plus emblématiques d'un édifice majeur construit sur un terrain détenu en emphytéose.
- Le Golf exécutif de L'Île-des-Sœurs, également à Montréal, constitue un autre cas d'utilisation de l'emphytéose pour un espace récréatif.
- Le parc d'attractions La Ronde, situé sur l'île Sainte-Hélène à Montréal, a fait l'objet d'une cession en emphytéose pour une durée de 64 ans à la compagnie Six Flags. Cette dernière s'était engagée à moderniser le parc et à verser un loyer annuel à la Ville de Montréal.
- Plusieurs coopératives d'habitation à travers le Québec ont pu voir le jour grâce à l'emphytéose, notamment sur des terrains appartenant à des communautés religieuses, des ministères, des organismes gouvernementaux ou des municipalités. Cette approche a été particulièrement populaire à Montréal durant les années 1980 et 1990.
- La Ville de Shawinigan utilise l'emphytéose pour certains de ses bâtiments : la Ville reste propriétaire du terrain, tandis qu'un tiers obtient le droit d'utiliser l'immeuble grâce à l'emphytéose.
- Le terrain sous le Centre Bell à Montréal était en emphytéose avant d'être racheté pour 50 millions de dollars par le Club de hockey Canadien, ce qui a mis fin au bail emphytéotique.
- À Mirabel, la gestion de l'aéroport s'effectue sur un vaste territoire en emphytéose appartenant au gouvernement fédéral. Cette situation particulière peut d'ailleurs complexifier les investissements immobiliers sur ces terrains.
- Dans les années 1970, un droit d'emphytéose a été accordé pour la construction d’un hôtel à Québec par la compagnie Concordia Estate, avec un bail prévu pour se terminer en 2069.
Ces exemples variés démontrent que l'emphytéose est un outil juridique flexible, utilisé au Québec pour une multitude de projets immobiliers, qu'il s'agisse d'imposants complexes commerciaux, de logements coopératifs, d'infrastructures de loisirs ou de projets municipaux.
Ce qu'il faut retenir en bref
L'emphytéose est un arrangement spécial qui donne beaucoup de droits à celui qui utilise l'immeuble (l'emphytéote), presque comme s'il en était le propriétaire, mais pour une durée limitée (entre 10 et 100 ans). En échange, il doit améliorer l'immeuble.
Il est super important de bien lire le contrat d'emphytéose pour connaître les droits et les devoirs de chacun. Si le contrat n'est pas clair ou s'il manque des informations, c'est la loi (le Code civil du Québec) qui s'applique.
Si vous êtes face à une situation d'emphytéose, que ce soit comme propriétaire ou comme emphytéote, et que vous avez des questions, n'hésitez pas à consulter un avocat. Il pourra vous aider à y voir plus clair.
* Ce texte explique de façon générale le droit en vigueur au Québec et ne constitue pas une opinion ou un avis juridique. Pour connaître les règles particulières à votre situation, veuillez vous référer à un avocat.