Illustration droit des personnes LGBTQ+

Droits des personnes LGBTQ+ au Québec

September 22, 2025 · 6 minutes read

Je m’appelle Hélène Montreuil. Je suis avocate en pratique privée depuis 1976, chargée de cours à l’Université du Québec à Rimouski depuis 1984, présidente de Comité d’enquête en éducation depuis 2023 et transgenre. J’ai également été présidente de syndicats, conférencière, animatrice à la radio, agente de recouvrement fiscal, sous-lieutenant dans les Forces canadiennes et auteure. En bref, je suis une touche-à-tout. Dans la jurisprudence et l'actualité, vous me connaissez peut-être sous le nom de Micheline Montreuil.

Aujourd'hui, je souhaite vous entretenir d'un sujet qui me touche particulièrement : l'évolution des droits des personnes LGBTQ+ au Québec.

Mon parcours personnel, en tant que femme transgenre, se confond avec les grandes revendications de la communauté LGBTQ+. J'ai été de tous les combats, plus ou moins présente, mais les mémoires que j’ai déposés devant la Chambre des Communes du Canada et à l’Assemblée nationale du Québec, ainsi que les jugements que j’ai obtenus, ont facilité l’ouverture de nombreuses portes. Comme je le dis si bien : « Je n’ai pas systématiquement ouvert de nouvelles portes, mais j’ai systématiquement transformé des sentiers boueux et sinueux en autoroutes droites et asphaltées ». Voyons ensemble où nous en sommes.

La protection légale

Le Québec a toujours été avant-gardiste. Dès 1975, avec l'adoption de la Charte des droits et libertés de la personne¹, l’Assemblée nationale a clairement visé à éviter toute forme de discrimination. Cette Charte accorde une protection aux personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres reconnaissant le droit à l'égalité, sans distinction fondée sur l'orientation sexuelle et l’expression de genre². Le mot transgenre recouvre non seulement les personnes transgenres, mais également les personnes travesties et transsexuelles. La lutte fut longue, mais les tribunaux vont soutenir les victimes à maintes reprises, condamnant les auteurs de la discrimination à verser des compensations.

Au fédéral, nous avons depuis 1982 la Charte canadienne des droits et libertés³. La Charte interdit la discrimination fondée sur le « sexe »⁴, mais il faudra l’intervention des tribunaux pour élargir le sens du mot sexe pour couvrir l'orientation sexuelle et l’expression de genre. Il faut se rappeler que la Charte canadienne est un compromis politique entre le fédéral et les provinces, ce qui rendait difficile une approbation de tous les types de discrimination.

Au fédéral, dans le domaine du Droit du travail, nous avons depuis 1985, la Loi canadienne sur les droits de la personne⁵. Cette loi protège les personnes LGBT. Les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur le sexe, l’orientation sexuelle et l’identité ou l’expression de genre⁶.

Pour obtenir la protection contre une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité ou l’expression de genre, il a fallu se battre devant les tribunaux, jusqu’à la Cour suprême, et devant les parlements provinciaux et fédéral.

Trois grandes batailles

Le 14 décembre 1999, je me présente devant le Comité d’examen de la Loi canadienne sur les droits de la personne un mémoire portant sur «La reconnaissance de l’identité sexuelle à titre de motif de discrimination illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.»

Au mois de juin 2000, le Comité produit un rapport intitulé «La promotion de l’égalité : une nouvelle vision». La recommandation 123 de ce rapport se lit ainsi : Nous recommandons que l’identité sexuelle soit ajoutée à la liste des motifs de discrimination illicite dans la Loi. La Loi fut modifiée en 2017⁷.

Le 28 avril 2003, je me présente devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des Communes du Canada, un mémoire sur «Le mariage et la reconnaissance des unions de même sexe»⁸.

Le 20 juillet 2005, la Loi sur le mariage civil⁹ est sanctionnée ; elle prévoit que le mariage est, sur le plan civil, l’union légitime de deux personnes, à l’exclusion de toute autre personne¹⁰. Il n’est donc plus question d’une union entre un homme et une femme seulement, mais entre deux personnes.

Le 15 avril 2015, je dépose devant la Commission des institutions de l’Assemblée nationale du Québec un mémoire «Concernant le projet de règlement relatif au Règlement sur le changement de nom et d’autres qualités de l’état civil pour les personnes transsexuelles ou transgenres»¹¹ en réponse à un projet de règlement insatisfaisant.

En 2016, le Gouvernement du Québec adopte le Règlement sur le changement de nom et d’autres qualités de l’état civil¹².

L'Identité et l'État Civil : Mon Combat pour la Reconnaissance

La reconnaissance légale de son identité est un droit fondamental. Pourtant, ce chemin a été pour moi, et pour tant d'autres, semé d'embuches. Je le sais d'expérience.

J'ai mené une longue bataille juridique de 1997 à 2016 pour faire ajouter mes prénoms féminins — Micheline, Anne, Hélène — sur mon acte de naissance. J'ai dû faire face à un Directeur de l'état civil qui se montrait souvent arbitraire, mais les tribunaux m'ont donné raison : les prénoms n'ont pas de sexe.

Plus important encore, j'ai mené un combat acharné pour refuser d'être diagnostiquée avec un « trouble de l’identité du genre ». Je refuse d'être qualifiée de « malade mentale » pour simplement affirmer qui je suis. Heureusement, le droit évolue. Le jugement historique Centre for Gender Advocacy¹³ de 2021, en invalidant plusieurs articles discriminatoires du Code civil, a marqué une victoire majeure pour notre dignité, reconnaissant enfin l'identité non binaire et simplifiant les démarches.

L'Amour et la Loi : Le Droit au Mariage pour Tous

Pendant longtemps, le mariage fut perçu comme une institution religieuse. Aujourd'hui, il s'agit d'un acte laïc encadré par l'État. La Coalition gaie et lesbienne du Québec ainsi qu’Égale Canada, que j'ai eu l'honneur de représenter, ont toujours milité pour le droit au mariage pour deux personnes, peu importe leur sexe. Nous étions convaincus que la loi devait refléter le principe d'égalité.

Le Québec a montré la voie en adoptant la loi sur les unions civiles en 2002, un régime presque identique au mariage. Bien que cette avancée ait d'abord créé deux catégories de citoyens au Canada, elle a poussé le Parlement canadien à agir. Finalement, le 20 juillet 2005, la Loi sur le mariage civil¹⁴ a légalisé le mariage entre personnes de même sexe partout au pays. L'État n'a pas le droit d'imposer une restriction religieuse à une institution laïque. C'est un principe fondamental.

Les "Subtiles Odeurs de Discrimination" au Travail

La discrimination in matière d'emploi est un fléau, souvent difficile à prouver. J'ai moi-même été confrontée à des situations où mon identité transgenre a été un facteur clef dans des décisions d'embauche.

C'est pourquoi, dans des affaires marquantes comme Montreuil c. Banque nationale du Canada¹⁵, j'ai contribué à développer le concept des « subtiles odeurs de discrimination »¹⁶. Ce principe affirme qu'il n'est pas nécessaire de prouver l'intention de discriminer. Il suffit que la discrimination ait été l'un des motifs de la décision de l'employeur. Cette avancée a été essentielle pour protéger la communauté LGBTQ+ sur le marché du travail, là où la discrimination est trop souvent invisible.

Ce même concept des « subtiles odeurs de discrimination » a été repris dans la cause «Montreuil c. Comité des griefs des Forces canadiennes»¹⁷. Ce jugement a été maintenu en appel devant la Cour fédérale¹⁸.

J’ai prononcé de nombreuses conférences¹⁹, mais j’aimerais que vous preniez le temps de lire celle que j’ai prononcée à l’Université du Québec à Chicoutimi ; vous y trouverez une grande quantité d’informations, de tableaux de cartes et de situations au Québec et à l’étranger²⁰.

Au-delà de la Loi : Le Vrai Défi est de Changer les Mentalités

Malgré toutes les victoires que nous avons remportées, la réalité demeure complexe. Le problème n’est plus tellement légal ; il est plutôt social ; c’est un problème de mentalité.

J'ai reçu des commentaires blessants de confrères masculins, m'affirmant que j'étais « la honte du Barreau ». Être transgenre n'est pas toujours « politiquement correct ». Il faut être résilient. Ma devise a toujours été : « Fluctuat nec mergitur », qui signifie « Elle est battue par les flots, mais ne sombre pas ». C'est un long processus pour faire évoluer les mentalités.

En conclusion : Poursuivre le Chemin

De tous les pays occidentaux, je suis convaincue que le Canada est celui où nos droits sont les mieux garantis et où nous avons les meilleures opportunités de nous développer. Toutefois, la présence de certaines personnes ayant des préjugés et occupant des postes d'autorité ou de direction reste un obstacle.

Nous devons continuer à nous battre pour que le droit à l'égalité ne soit pas une lettre morte dans nos Chartes, mais une réalité concrète et vécue par tous. Comme Franklin Delano Roosevelt, président des Etats-Unis, l'a dit :

« La seule chose dont vous devez avoir peur, est la peur elle-même ».

Avec votre aide, la société finira par évoluer.

Cordialement,

Me Hélène Montreuil Avocate


Références

  1. Chapitre C-12
  2. Chapitre C-12, Article 10
  3. Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)
  4. Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), Article 15
  5. L.R.C. (1985), ch. H-6
  6. L.R.C. (1985), ch. H-6, Article 3 (1)
  7. http://publications.gc.ca/site/eng/412031/publication.html
  8. https://www.maitremontreuil.ca/conferences/2003-04-28-mariage-meme-sexe.pdf
  9. Loi sur le mariage civil (L.C. 2005, ch. 33)
  10. Loi sur le mariage civil (L.C. 2005, ch. 33), Article 2
  11. https://www.maitremontreuil.ca/conferences/2015-05-13-changement-nom.pdf
  12. https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/CCQ,%20r.%204%20/
  13. Centre for Gender Advocacy v. The Attorney General of Quebec, 500-17-082257-141
  14. Loi sur le mariage civil (L.C. 2005, ch. 33)
  15. https://decisions.chrt-tcdp.gc.ca/chrt-tcdp/decisions/fr/item/6521/index.do
  16. Idem, paragraphes 39
  17. https://decisions.chrt-tcdp.gc.ca/chrt-tcdp/decisions/fr/item/7139/index.do
  18. https://decisions.fct-cf.gc.ca/fc-cf/decisions/fr/item/56291/index.do
  19. https://www.maitremontreuil.ca/conference.html
  20. https://www.maitremontreuil.ca/conferences/2021-05-17-LGBT-UQAC.pdf
  • Me Hélène Montreuil avocate en droit LGBTQ+
  • à propos de l'auteur

    Avocate et pionnière des droits LGBTQ+, Me Hélène Montreuil traduit son parcours et les combats juridiques complexes en un récit accessible, alliant son expertise légale à son vécu personnel.

Liste chronologique de l'évolution des droits des personnes LGBTQ+ au Québec et au Canada

1969 (Ca)

Le Code criminel est modifié pour décriminaliser les rapports sexuels consentants en privé entre deux adultes de même sexe.

1977 (Qc)

L'orientation sexuelle est ajoutée comme motif de discrimination interdit dans la Charte des droits et libertés de la personne.

1978 (Ca)

Une loi est modifiée pour abolir l'interdiction d'immigrer pour les personnes homosexuelles.

1980 (Qc)

Il est reconnu qu'une commission scolaire ne peut pas refuser de louer une salle à un organisme qui promeut les droits des personnes homosexuelles.

1992 (Ca)

La Cour fédérale du Canada déclare que les politiques restreignant le service des personnes homosexuelles dans l'armée sont contraires à la Charte canadienne des droits et libertés. Les politiques connexes sont révoquées.

1993 (Ca)

L'orientation sexuelle est reconnue comme un motif valable pour demander le statut de réfugié.

1994 (Qc)

Publication du rapport De l'illégalité à l'égalité sur la violence et la discrimination envers les gais et lesbiennes, suite à une consultation publique avec les communautés.

1996 (Ca)

L'orientation sexuelle est reconnue comme un motif de discrimination prohibé par la Charte canadienne des droits et libertés.

1996 (Qc)

L'article 137 de la Charte des droits et libertés de la personne est abrogé, interdisant de se baser sur l'orientation sexuelle pour établir des distinctions dans les régimes d'assurances et d'avantages sociaux.

1998 (Qc)

Il est reconnu qu'un congédiement basé sur le fait qu'un employé entame un processus d'affirmation de genre constitue de la discrimination fondée sur le sexe.

1999 (Qc)

Une loi est adoptée pour reconnaître les conjoints de fait de même sexe dans les lois québécoises.

2000 (Ca)

Une loi est adoptée pour reconnaître les conjoints de fait de même sexe dans les lois fédérales.

2002 (Qc)

Une loi entre en vigueur pour créer l'union civile, une institution équivalente au mariage et ouverte aux couples de même sexe. Les couples de même sexe obtiennent les mêmes droits parentaux que les couples hétérosexuels. L'homoparentalité est reconnue, permettant à la filiation d'un enfant d'être établie à deux mères ou deux pères.

2005 (Ca)

Une loi est adoptée pour donner aux couples de même sexe la capacité juridique de contracter un mariage civil.

2007 (Qc)

Publication du rapport de consultation De l'égalité juridique à l'égalité sociale : Vers une stratégie nationale de lutte contre l'homophobie.

2008 (Qc)

Le gouvernement désigne le ministre de la Justice comme ministre responsable de la lutte contre l'homophobie.

2009 (Qc)

Adoption de la Politique québécoise de lutte contre l'homophobie, Ensemble vers l'égalité sociale.

2011 (Qc)

Dévoilement du Plan d'action gouvernemental de lutte contre l'homophobie 2011-2016 et création du Bureau de lutte contre l'homophobie.

2013 (Qc)

Adoption d'une loi permettant à une personne majeure de faire modifier la mention de sexe sur son acte de naissance sans traitement médical ou intervention chirurgicale.

2015 (Qc)

Entrée en vigueur d'une loi permettant le changement de nom et de la mention du sexe sans exiger d'intervention chirurgicale.

2016 (Qc)

Une loi est adoptée pour renforcer la lutte contre la transphobie et améliorer la situation des mineurs transgenres, permettant le changement de la mention du sexe sous certaines conditions. L'identité ou l'expression de genre est ajoutée comme motif prohibé de discrimination à la Charte des droits et libertés de la personne.

2017 (Ca)

L'identité et l'expression de genre sont ajoutées à la Loi sur les droits de la personne et aux dispositions sur la propagande et les crimes haineux.

2017 (Qc)

Dévoilement du Plan d'action gouvernemental de lutte contre l'homophobie et la transphobie 2017-2022.

2018 (Ca)

Adoption d'une loi pour la radiation de condamnations constituant des injustices historiques pour des activités sexuelles consensuelles entre personnes de même sexe.

2019 (Ca)

Abrogation des infractions relatives à la pénétration anale, au vagabondage et aux maisons de débauche.

2020 (Qc)

Adoption d'une loi visant à protéger les personnes contre les thérapies de conversion.

2021 (Qc)

Une décision de la Cour supérieure invalide cinq articles du Code civil jugés discriminatoires envers les personnes trans ou non binaires. Le Plan d'action gouvernemental pour prévenir et contrer les thérapies de conversion 2021-2023 est dévoilé.

2022 (Ca)

Une loi interdisant les thérapies de conversion est adoptée.

2022 (Qc)

Une loi est adoptée permettant aux personnes non binaires de faire inscrire un "X" comme mention du sexe sur leur acte de naissance ou de décès.

2023 (Qc)

Dévoilement du Plan d'action gouvernemental de lutte contre l'homophobie et la transphobie 2023-2028. Lancement de la première édition du Prix Action LGBTQ+

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